L’annexion du chenal de Caronte par la Chambre de commerce de Marseille, la construction de quais, l’approfondissement de la passe de plusieurs mètres, la création d’un canal et de terre-pleins par le comblement des anses de la Gaffette et de Labillon, sans oublier toutes les usines qui s’implantent sur ce littoral, favorisent l’emploi et la croissance tout en générant des nuisances pour l’homme et son environnement. Elles fragilisent aussi des activités plus anciennes comme l’exploitation du sel – plusieurs salins sont détruits par les travaux – et la pêche.
L’annexion du chenal de Caronte par la Chambre de commerce de Marseille, la construction de quais, l’approfondissement de la passe de plusieurs mètres, la création d’un canal et de terre-pleins par le comblement des anses de la Gaffette et de Labillon, sans oublier toutes les usines qui s’implantent sur ce littoral, favorisent l’emploi et la croissance tout en générant des nuisances pour l’homme et son environnement. Elles fragilisent aussi des activités plus anciennes comme l’exploitation du sel – plusieurs salins sont détruits par les travaux – et la pêche.
L’entrée en production des trois raffineries de l’étang à Lavéra, La Mède et Berre, se traduit ainsi par une série d’irrégularités et d’incidents qui font incontestablement franchir un seuil quantitatif et toxique à la pollution : non-respect des prescriptions réglementaires du décret du 31 août 1926 concernant le transport et la manutention des hydrocarbures par les raffineries qui rejettent des eaux résiduaires insuffisamment épurées ou par les patrons des chalands pétroliers qui se débarrassent dans l’étang et en mer des eaux de lest mélangées à du pétrole ; échouage et perte de la cargaison de pétrole du chaland Bruni sur un banc de l’étang de Berre ; entre novembre 1935 et février 1936, près de 200 tonnes de brut ou de mazout sont encore déversées dans l’étang à la suite de plusieurs accidents intervenus à la raffinerie de La Mède. Des nappes huileuses traversent régulièrement le chenal de Caronte et l’étang de Berre, au gré des vents, polluant le sel et le pétrole. Les pêcheurs sont particulièrement affectés par la situation. Conscients des dangers qui les menacent, ils tentent d’arracher une compensation financière à la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille en sollicitant l’appui du Conseil général des Bouches-du-Rhône, du Parlement, du Sénat et du ministre des Travaux publics Yves Le Trocquer, dont dépend le sous-secrétariat d’État des Ports, de la Marine marchande et des Pêches. Mais dans ses prises de position du 1er avril 1920 et du 29 juillet 1921, Yves Le Trocquer, polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées, indique que du strict point de vue juridique il n’est « pas possible d’admettre que les privilèges dont jouissent les pêcheurs de Martigues pour l’exercice de leur profession dans les eaux du domaine public maritime leurs confèrent un droit quelconque à l’allocation d’une indemnité lorsque l’exécution de travaux répondant à un intérêt général entraîne des modifications aux dépendances de ce domaine ». Leur demande lui paraît d’autant moins fondée, qu’elle vise, à ses yeux, « à mettre obstacle à l’utilisation rationnelle de l’étang de Berre d’où dépend l’avenir économique de toute une région ». On retrouve la même argumentation chez les ingénieurs locaux en charge du dossier (service maritime des Ponts et Chaussées, Inscription maritime, Etablissements classés) et à la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille. Une quarantaine d’années avant l’opération techniciste et industrialiste des années 1960 qui aboutira à la création du port de Fos-sur-Mer – troisième site portuaire de Marseille –, à une échelle certes plus modeste mais dans une relation probablement tout aussi brutale compte tenu de ce qu’étaient les sociétés et l’environnement du chenal de Caronte vers 1920, les critiques et les réclamations des pêcheurs sont marginalisées et disqualifiées au nom d’un projet d’aménagement industriel porté conjointement par les milieux d’affaires marseillais, le pouvoir central et le corps des ingénieurs, un projet présenté – pour mieux le justifier et renvoyer les opposants à leur archaïsme et à leur égoïsme – comme rationnel, modernisateur et avant tout guidé par l’intérêt général en termes de croissance et d’emplois.