Comme dans la première moitié du XIXe siècle, cet essor industriel provoque des inquiétudes et des conflits. Avec, à la fois, une reprise de l’argumentation des décennies précédentes sur la santé et la préservation des ressources et un élargissement des réflexions à d’autres thématiques davantage en phase avec les sensibilités de l’époque.
Comme dans la première moitié du XIXe siècle, cet essor industriel provoque des inquiétudes et des conflits. Avec, à la fois, une reprise de l’argumentation des décennies précédentes sur la santé et la préservation des ressources et un élargissement des réflexions à d’autres thématiques davantage en phase avec les sensibilités de l’époque.
Dans une lettre envoyée au maire de Martigues, un des opposants à l’industrialisation indique ainsi – l’argument est assez neuf – que les communications rapides avec Marseille « ouvrent à la ville de Martigues un brillant avenir, non pas comme ville industrielle, mais comme station d’été et séjour d’agrément » pour la population marseillaise « qui viendra de plus en plus y chercher l’air pur et le côté pittoresque qui lui font entièrement défaut à Marseille ». Le tourisme, les loisirs et l’air pur, plutôt que l’industrie… L’auteur de cette lettre perçoit parfaitement que ce territoire est à la croisée des chemins et que la croissance industrielle attendue – incompatible avec les autres voies économiques possibles – peut sceller le destin de la ville. En 1921, François Roland, premier prud’homme de la communauté des pêcheurs de Martigues, interpelle vivement le président de la Chambre de commerce de Marseille sur l’avenir de la profession : « Voyons, M. le Président, vous avez ici une ravissante petite mer intérieure inépuisable source de poissons avec lesquels nous alimentons Marseille, les pays méditerranéens et même la capitale, et vous voudriez, alors que la France a plus que jamais besoin de produire et d’intensifier la pêche, alors qu’il faudrait créer, s’il n’existait pas déjà cet unique centre de pêche qu’est l’étang de Berre, vous voudriez, dis-je, nous porter un coup mortel (…). Vouloir porter atteinte à notre vie, c’est réaliser la formule « plus de marins, plus de nations ». (…) Puisque le soleil luit pour tout le monde, ne nous tuez pas (…). Arrêtez-vous là et laissez-nous dans nos barques ». Peu écoutés, les pêcheurs trouvent alors en Charles Maurras, natif de Martigues, un ardent défenseur. Directeur politique – avec Léon Daudet – de L’Action française, membre du Félibrige, Maurras reprend à son compte les réticences exprimées avant-guerre par Frédéric Mistral à l’encontre des intérêts industriels et intervient à plusieurs reprises en faveur des pêcheurs martégaux – incarnation désignée de l’identité locale et nationale – menacés par les usines existantes et la croissance industrielle annoncée. Maurras renoue avec le débat de la première moitié du XIXe siècle sur l’identité économique du territoire. Avec une nuance : ce ne sont plus tellement les effets des pollutions industrielles sur la santé qui sont pointés d’un doigt accusateur, mais plutôt la destruction des bordigues, la réduction des surfaces naturelles propices au renouvellement ou au maintien de la richesse halieutique, la raréfaction de la ressource qui s’ensuit et la ruine d’une catégorie professionnelle ancestrale. En 1936, les patrons-pêcheurs de Martigues se mettent en grève après que plusieurs lots de poissons et de coquillages aient été refusés à la vente dans les communes avoisinantes. La même année, les membres du Comité radical et radical socialiste Camille Pelletan de Martigues interpellent à leur tour le gouvernement, sans davantage de succès. Les enjeux économiques sont trop importants et le rapport de force trop inégal pour empêcher, ou même freiner, l’affirmation du fait industriel sur ce territoire.