Que fait l’État pendant toutes ces années ? Comment réagissent les préfets successifs qui sont amenés à gérer ce conflit ? Comment se positionnent les experts – médecins et ingénieurs – mandatés par l’administration préfectorale ? Que ce soit le Premier Empire (1804-1815), la Restauration (1815-1830) ou la monarchie de Juillet (1830-1848), le pouvoir central, par-delà ses divergences politiques, ne cesse de soutenir les industriels, pour des raisons stratégiques (assurer l’indépendance nationale et la présence de la France dans des productions clés de la modernité technique) ou économiques (emplois, impôts).
Que fait l’État pendant toutes ces années ? Comment réagissent les préfets successifs qui sont amenés à gérer ce conflit ? Comment se positionnent les experts – médecins et ingénieurs – mandatés par l’administration préfectorale ? Que ce soit le Premier Empire (1804-1815), la Restauration (1815-1830) ou la monarchie de Juillet (1830-1848), le pouvoir central, par-delà ses divergences politiques, ne cesse de soutenir les industriels, pour des raisons stratégiques (assurer l’indépendance nationale et la présence de la France dans des productions clés de la modernité technique) ou économiques (emplois, impôts).
La politique industrialiste de l’État se constate à travers plusieurs éléments : le décret du 15 octobre 1810, qui instaure une gestion centralisée, administrative et libérale des dommages industriels – mieux tolérés qu’autrefois – qui sont désormais susceptibles d’être compensés par une indemnisation financière après un recours auprès de la justice civile ; on le constate aussi en 1816, lorsque le ministre de l’Intérieur ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône de ne pas hésiter à utiliser la force publique pour protéger les établissements industriels et de faire arrêter et emprisonner tous ceux qui s’attaqueraient à eux ; ou encore en 1830, lorsque le préfet destitue le maire d’Istres – trop critique à l’égard des rejets industriels – pour le remplacer par le directeur de l’usine de soude de Rassuen. L’administration préfectorale, responsable de la régulation des pollutions industrielles depuis le décret du 15 octobre 1810, renvoient l’instruction des pétitions et des demandes de création de ces usines aux experts désignés par la Société royale de médecine de Marseille, puis par le Conseil d’hygiène et de salubrité fondé en 1825. Les tribunaux civils sollicités par les plaignants, s’en remettent aussi aux experts désignés par les juges. Ces experts, principalement issus des sciences médicales et de la notabilité locale, jouent ainsi un rôle déterminant dans la mesure des dégâts provoqués par les pollutions industrielles et dans la définition des normes à respecter pour que les entrepreneurs puissent continuer à produire. Mesures et normes sont au cœur du rapport de force imposé par l’essor de l’industrie et des débats visant à déterminer des seuils acceptables en matière de pollution. Certains experts se livrent à des enquêtes approfondies pendant plusieurs mois – sur le terrain ou en laboratoire – et reconnaissent parfois le bien fondé des plaintes, provoquant la condamnation des industriels au versement d’indemnités financières. Mais la rigueur et la longueur de certaines enquêtes ne suffisent pas toujours à combler l’incomplétude des savoirs. Leur rapports montrent souvent à quel point il est difficile et dangereux d’avoir à établir une norme dans l’urgence, particulièrement lorsqu’il s’agit d’expertiser les effets d’une nouvelle technologie. Dans d’autres cas, le manque de rigueur et les connivences sociales de fait existant entre les experts et les industriels provoquent des biais méthodologiques qui décrédibilisent les résultats de l’enquête, que ce soit à propos de la santé des ouvriers ou des dégradations environnementales. La qualité des expertises – c’est toujours le cas aujourd’hui – repose non seulement sur le niveau de connaissance des experts, mais aussi sur leur capacité à s’extraire des présupposés de leur milieu social et de leur temps, ce qui pose davantage de problèmes. Parfois la corruption et les connivences politiques s’en mêlent. Tous les cas de figure sont ainsi possibles, les cas extrêmes n’étant pas nécessairement les plus courants.