Retour

Période 1

Résumé

Les riverains des usines envoient des pétitions au préfet, déposent des plaintes devant le tribunal civil d’Istres – c’est une des conséquences du décret du 15 octobre 1810 qui fonde le nouveau système de régulation des nuisances industrielles – pour obtenir des compensations financières au nom des dommages matériels subis, des désagréments causés par les rejets industriels dans leur vie quotidienne ou de la perte de valeur de leur propriété. Ils n’hésitent pas non plus à mobiliser la presse pour relayer leurs craintes et tenter de sensibiliser l’opinion et les pouvoirs publics à leur situation.(...) [Afficher le résumé]

Les riverains des usines envoient des pétitions au préfet, déposent des plaintes devant le tribunal civil d’Istres – c’est une des conséquences du décret du 15 octobre 1810 qui fonde le nouveau système de régulation des nuisances industrielles – pour obtenir des compensations financières au nom des dommages matériels subis, des désagréments causés par les rejets industriels dans leur vie quotidienne ou de la perte de valeur de leur propriété. Ils n’hésitent pas non plus à mobiliser la presse pour relayer leurs craintes et tenter de sensibiliser l’opinion et les pouvoirs publics à leur situation. L’exaspération et le sentiment d’abandon provoquent aussi des émeutes, comme dans le village de Saint-Mitre où trois grandes crises de surmortalité sont imputées à l’usine de soude voisine du Plan d’Aren, fondée par Jean-Baptiste Chaptal et Amédée Berthollet, fils des deux grands chimistes français.

Cette première partie vise à questionner la relation industrie/environnement au cours de la première moitié du XIXe siècle, sur ses enjeux, sur ce qu’elle révèle aussi des rapports de force et des inégalités sociales à l’œuvre sur ce territoire face à la maladie, à la mort, et sur les différents éléments qui fondent sa spécificité, voire son caractère atypique, au regard de ce que nous connaissons déjà des conflits similaires qui se sont produits en Provence, dans le bassin méditerranéen et dans le reste du monde. Elle permet de mettre en évidence trois éléments. Elle montre, tout d’abord, que la question de la pollution apparaît dès cette époque comme un des éléments majeurs de la relation entre les industriels et les habitants de ce territoire. Elle révèle aussi que c’est au cours de cette même période que se mettent en place les mécanismes d’un rapport de force parfois très vif entre industriels, riverains, experts et pouvoirs publics – maire, préfet, État –, un rapport de force où chacun tient un discours et adopte des postures que l’on pourrait, à peu de choses près, et toute proportion gardée, retrouver de nos jours à propos de telle ou telle industrie reconnue dangereuse et en même temps vitale pour l’avenir économique de ce territoire ou de la nation. Le troisième et dernier élément concerne la mémoire de cette conflictualité. Plus personne ne s’en souvient, au point de laisser croire à une sorte de linéarité progressive de la sensibilité et de la conflictualité environnementales des lieux, celles d’aujourd’hui apparaissant de façon téléologique comme le point culminant d’une histoire dont les origines remonteraient aux années 1960, c’est-à-dire au moment de la construction de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer. Sans nier, bien évidemment, la gravité ou l’importance des problèmes et des débats en cours dans un territoire qui compte désormais 51 sites Seveso, dont 39 dits « seuil haut », il est important de rappeler la violence qu’a pu représenter – malgré ses avantages économiques et à l’échelle des paramètres sociaux et environnementaux de l’époque – l’implantation des premiers jalons de l’industrie lourde et d’inscrire nos réflexions dans une conception davantage cyclique que linéaire.

[Masquer le résumé]

Bibliographie

  • Marie-Claire Amouretti, George Comet, « Naissance de l’industrie chimique en PACA, ses liens avec le milieu agricole », Cahier d’histoire des techniques, 1991, n° 1, p. 1-12.
  • George Boudet, Le sel du Midi au XIXe siècle : la naissance des salins du Midi de la France, Marseille, CSMSE, 1995, 269 p.
  • Rémy Balzano, Rassuen ou la mémoire du sel des étangs, Istres, Éditions Le patrimoine des étangs, 1993, 286 p.
  • Xavier Daumalin, Du sel au pétrole : l’industrie chimique de Marseille-Berre au XIXe siècle, Marseille, Éd. Paul Tacussel, 2003, 160 p.
  • Xavier Daumalin, « Quand l’industrialisme tue : l’affaire du Pourra (1812-1846) », à paraître en décembre 2020 dans la Revue d’histoire du XIXe siècle.
  • Xavier Daumalin, Olivier Raveux, « L’industrialisation du littoral de Fos/étang de Berre : modalités, résistances, arbitrages (1809-1957) », dans Mauve Carbonell, Xavier Daumalin, Ivan Kharaba, Olivier Lambert, Olivier Raveux (dir.), Industrie entre Méditerranée et Europe XIXe-XXIe> siècle, Aix-en-Provence, PUP, 2019, p. 245-259.
  • John Graham Smith, The Origins and Early Development of the Heavy Chemical Industry in France, Oxford, Clarendon Press, 1979, 370 p.

Sources documentaires