À la Libération, le conflit environnemental entre les pêcheurs et les raffineurs atteint son paroxysme. La colère des prud’homies s’exprime lors d’opérations d’envergure – blocage du pont tournant de Martigues, barrages maritimes, dépôt du rôle, interruption du paiement des taxes, poursuites judiciaires –, dont certaines perturbent les mouvements des pétroliers le long du chenal de Caronte. Elles s’accompagnent de revendications, parmi lesquelles figurent la mise en place d’une police des ports, l’aggravation des pénalités financières pour les pollueurs ou encore le versement d’une caution d’entrée et de sortie des navires.
Le message est relayé, voire instrumentalisé, par des médias de tendances politiques opposées, contribuant ainsi à attirer l’attention d’un large public sur le sujet. Outre l’appui du journal communiste La Marseillaise, les pêcheurs reçoivent, une nouvelle fois, le soutien de Charles Maurras dans un article paru peu avant sa mort en 1952 dans Aspects de la France. Le texte du théoricien du « nationalisme intégral » reflète, plus généralement, le point de vue des milieux conservateurs qui considèrent le pétrole comme un objet de modernité exogène, néfaste à l’identité et au patrimoine régionaux.
Il reste que les industriels, les autorités portuaires et les pouvoirs publics ne demeurent pas passifs face aux protestations et aux mobilisations, car celles-ci entravent la bonne marche de l’activité économique ; elles pointent les effets néfastes de ces nouveaux trafics et nuisent, de facto, à la réputation du Port. Avant la création du PAM, la Chambre de commerce de Marseille privilégie, à cet égard, une démarche de conciliation entre les sinistrés, les raffineurs, les compagnies maritimes et les services de l’État. En 1957, de longues négociations aboutissent à la loi d’interdiction de la pêche dans l’étang de Berre, assortie d’une indemnité compensatoire de 450 millions de francs versée aux prud’homies. L’accord n’empêche pas, toutefois, la poursuite des grèves de pêcheurs contre les pollutions maritimes, comme celle déclenchée en décembre 1973 dans la rade de Martigues.
Lorsqu’il prend en charge la gouvernance de Lavéra et de la ZIP de Fos en 1966, le Port autonome de Marseille tente, lui aussi, de mettre en œuvre une politique de conciliation des enjeux écologiques et des impératifs économiques, dans le sillage des « cent mesures pour l’environnement » portées par le gouvernement Chaban-Delmas en 1970. Outre l’acquisition d’équipements anti-pollution (barrages flottants, produits dispersants, stations de déballastage, chalands récupérateurs), l’établissement travaille à l’installation d’un réseau de surveillance, d’alerte et d’étude qui permet de dresser un état des lieux plus précis des nuisances. L’objectif entre en résonance avec les missions assignées au Secrétariat permanent pour les problèmes de pollution industrielle (SPPPI) de la zone de Fos/étang de Berre, nouvellement créé en 1971-1972 auprès du préfet des Bouches-du-Rhône et animé par un ingénieur en chef des Mines. Véritable laboratoire en matière de gestion environnementale qui a servi, par la suite, de modèle à l’échelle nationale, l’organisme a défini et imposé des normes aux industriels pour les inciter à épurer leurs effluents ou à investir dans des unités de traitement des rejets soufrés.